Un tournant majeur dans la lutte contre les fraudes sociales
Présenté en octobre 2025, le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales marque un tournant dans la politique de contrôle du travail en France. Face à des pertes estimées à plus de 6 milliards d’euros par an, le gouvernement renforce considérablement les moyens de l’URSSAF et des organismes de recouvrement.
L’une des principales nouveautés est la procédure de flagrance sociale, inspirée de la flagrance fiscale, qui permettra d’agir immédiatement en cas de travail dissimulé.
1. La “flagrance sociale” : agir vite pour éviter la disparition des fraudeurs
Jusqu’ici, les contrôles URSSAF donnaient souvent lieu à des recouvrements tardifs. Les entreprises mises en cause pouvaient disparaître avant toute sanction effective.
L’article 21 du projet de loi introduit donc une procédure de flagrance sociale :
- Les agents URSSAF peuvent dresser un procès-verbal immédiat en cas de constat d’infraction (emploi non déclaré, sous-déclaration de salaires, faux statuts d’indépendants…).
- Une contrainte exécutoire devient immédiatement applicable, permettant le gel des avoirs et le recouvrement instantané des cotisations dues.
- Le président du tribunal judiciaire pourra suspendre cette contrainte en cas de contestation, mais uniquement si le risque d’insolvabilité est faible ou si des garanties sont apportées.
Objectif : empêcher les sociétés “éphémères” de disparaître avant de régler leurs dettes sociales.
Selon le gouvernement, cette procédure pourrait permettre de recouvrer jusqu’à 500 millions d’euros supplémentaires par an.
2. Responsabilité élargie dans la chaîne de sous-traitance
Le texte étend la solidarité financière aux donneurs d’ordre et maîtres d’ouvrage.
En cas de fraude constatée chez un sous-traitant, l’URSSAF pourra désormais se retourner contre le donneur d’ordre pour le paiement des cotisations impayées.
Principaux secteurs concernés :
- BTP, où les sous-traitants éphémères sont fréquents,
- Services, notamment sécurité et nettoyage,
- VTC et livraisons, avec encadrement des plateformes numériques.
Cette disposition incite les entreprises à renforcer leur vigilance lors de la sélection de leurs partenaires.3. Ciblage renforcé du secteur des VTC
Le secteur du transport de personnes est particulièrement visé :
- Fin du rattachement de chauffeurs à des flottes de gestion ;
- Obligation de vigilance accrue pour les plateformes de mise en relation ;
- Possibilité pour les autorités de bloquer temporairement les inscriptions au registre en cas de fraude avérée.
En contrepartie, les employeurs régularisant rapidement les cotisations peuvent bénéficier d’une suppression des majorations pour travail dissimulé — une incitation à la conformité rapide.
4. Nouvelles mesures sociales et fiscales complémentaires
Le projet s’inscrit dans la stratégie interministérielle antifraude 2023-2026.
Parmi les mesures phares :
Détection renforcée
- Accès direct des organismes sociaux (CNAM, CPAM, CARSAT) aux bases fiscales de la DGFiP ;
- Géolocalisation obligatoire des véhicules de transport sanitaire d’ici 2027 pour éviter les surfacturations ;
- Interconnexion des systèmes de facturation électronique.
Sanctions accrues
- Surcotisation possible pour les accidents du travail frauduleux ;
- Sanctions administratives pour les organismes de formation défaillants ;
- Obligation de présence effective aux examens financés par les fonds de formation.
Meilleur recouvrement
- Extension des délais de reprise en cas de fraude ;
- Pouvoir de saisie administrative accordé à France Travail ;
- Prise en compte des contrats d’assurance-vie pour le recouvrement des indus.
5. Objectifs du gouvernement et impact attendu
Cette réforme vise à protéger les finances sociales et renforcer l’équité entre les entreprises.
Selon les estimations, le dispositif pourrait :
- Réduire de 15 à 20 % le travail dissimulé d’ici 2027 ;
- Accroître les recouvrements URSSAF à plus de 13 milliards d’euros annuels ;
- Améliorer la traçabilité des flux financiers dans les secteurs à risque.
Mais le projet suscite aussi un débat juridique :
le Conseil d’État s’interroge sur la compatibilité de la flagrance sociale avec le principe constitutionnel des droits de la défense, notamment en matière de saisie immédiate.
6. Ce que doivent retenir les entreprises
- Toute activité non déclarée ou sous-traitance douteuse expose désormais au recouvrement immédiat.
- Les donneurs d’ordre doivent vérifier la conformité sociale de leurs prestataires.
- Un audit social préventif avec son expert-comptable devient indispensable avant tout nouveau partenariat.
Vers une fiscalité plus réactive et dissuasive
Avec la mise en place de la flagrance sociale, l’URSSAF se dote d’un levier de contrôle équivalent à celui du fisc.
Ce projet traduit une volonté claire : faire payer immédiatement les fraudeurs plutôt que de constater leur disparition.
Reste à mesurer, dans les mois à venir, l’équilibre entre efficacité budgétaire et garantie des droits des entreprises.