Publié le 3 novembre 2025 | Par Jennifer Louison, Expert-Comptable Agréé OEC | Temps de lecture : 7 min
L’Assemblée nationale a adopté fin octobre 2025 l’amendement I-823 imposant aux entreprises de rembourser le Crédit d’Impôt Recherche perçu au cours des trois dernières années en cas de délocalisation d’une activité productive à l’étranger. Cette mesure marque un tournant dans la politique fiscale d’innovation en France, transformant le CIR d’un avantage fiscal permanent en une aide conditionnée au maintien territorial des activités.
Pour les directions financières et les experts-comptables, cette disposition soulève des enjeux majeurs de conformité et de planification stratégique. Le dispositif cible spécifiquement les transferts d’activité entraînant fermetures de sites et réductions d’effectifs en France.
À retenir : Le texte n’est pas définitif. Après son adoption en première lecture à l’Assemblée, le PLF 2026 doit encore être examiné par le Sénat avant promulgation définitive.
Un amendement aux conséquences financières lourdes
Le cadre réglementaire instauré par l’amendement I-823
L’amendement proposé par Emmanuel Taché prévoit le remboursement de la créance CIR afférente aux trois derniers exercices fiscaux pour les entreprises procédant à une délocalisation ou un transfert volontaire d’activité à partir du 1er janvier 2024.
Périmètre d’application :
- Transfert d’une partie ou de la totalité d’une activité hors de France
- Délocalisation impliquant fermeture ou forte réduction de sites français
- Diminution du nombre d’emplois sur le territoire national
Double sanction prévue : Au-delà du remboursement immédiat, les entreprises perdraient également le bénéfice du CIR pour les trois années suivant la délocalisation. Cette clause pénalise lourdement les groupes ayant massivement bénéficié du dispositif.
Montants potentiellement en jeu
Le CIR représente 30% des dépenses de R&D inférieures à 100 millions d’euros et 5% au-delà de ce seuil. Pour une entreprise ayant déclaré 10 millions d’euros de dépenses de recherche annuelles sur trois ans, l’obligation de remboursement pourrait atteindre 9 millions d’euros (3 x 3 millions).
Exemple chiffré :
| Année | Dépenses R&D déclarées | Créance CIR obtenue |
|---|---|---|
| N-3 | 8 M€ | 2,4 M€ |
| N-2 | 10 M€ | 3 M€ |
| N-1 | 12 M€ | 3,6 M€ |
| Total à rembourser | 30 M€ | 9 M€ |
Contexte politique : la conditionnalité des aides publiques en débat
Une volonté de territorialisation des investissements R&D
Cette proposition s’inscrit dans une volonté politique de renforcer le lien entre soutien public à la Recherche et Développement et maintien des activités économiques sur le territoire national. Le CIR pèse environ 7,2 milliards d’euros annuels pour l’État.
L’objectif affiché : éviter que des entreprises bénéficient d’aides publiques massives pour la R&D en France, puis déplacent la production issue de cette recherche à l’étranger. Le législateur cherche à prévenir cet « effet d’aubaine ».
Historique des tentatives de conditionnalité
Cette approche n’est pas inédite. Une proposition de loi visant à suspendre le CIR en cas de délocalisation avait déjà été déposée à l’Assemblée nationale en juillet 2023. Le PLF 2026 concrétise donc une préoccupation récurrente du Parlement.
D’autres amendements parlementaires proposaient même des dispositions plus contraignantes, comme l’interdiction pendant 10 ans de transfert d’activités à l’étranger pour les bénéficiaires du CIR.
Rappel : fonctionnement actuel du remboursement du CIR
Mécanismes standards (hors délocalisation)
En règle générale, la créance CIR est d’abord imputée sur l’impôt sur les sociétés ou l’impôt sur le revenu pendant les trois années suivant son obtention. Le solde non utilisé est ensuite remboursé au terme de cette période.
Timeline standard :
- Année N : Dépenses R&D engagées
- Année N+1 : Déclaration et imputation sur IS/IR
- Années N+1 à N+3 : Imputation sur impôts dus
- Année N+4 : Remboursement du solde
Cas de remboursement immédiat (sans délocalisation)
Certaines catégories d’entreprises peuvent demander un remboursement immédiat : les Jeunes Entreprises Innovantes, les PME au sens communautaire, et les entreprises en procédure de conciliation, sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire.
Le PLF 2026 inverse cette logique : au lieu d’être un avantage, le remboursement immédiat devient une sanction en cas de délocalisation.
Définition de la « délocalisation » : zone grise juridique
Absence de définition fiscale précise
L’application pratique de l’amendement dépendra de la définition juridique retenue pour « délocalisation d’une activité productive ». Le texte actuel reste flou sur plusieurs points critiques :
Questions en suspens :
- Quel pourcentage de transfert d’activité déclenche l’obligation ?
- Comment qualifier un transfert partiel versus total ?
- Les filiales créées à l’étranger sans fermeture en France sont-elles concernées ?
- Quid des restructurations intra-groupe sans suppression d’emplois nets ?
Risques d’interprétation par l’administration fiscale
L’absence de critères objectifs dans le texte actuel laisse une marge d’appréciation importante à la DGFiP. Les entreprises pourraient se retrouver dans une incertitude juridique majeure lors de leurs décisions stratégiques.
Illustration : Une entreprise pharmaceutique maintient son laboratoire R&D en France mais ouvre une unité de production en Pologne. Est-ce une délocalisation au sens de l’amendement ? La réponse n’est pas évidente.
Impacts prévisibles pour les entreprises bénéficiaires du CIR
Groupes internationaux : les plus exposés
Les grands groupes bénéficient largement du CIR tout en ayant une dimension internationale et des choix de localisation complexes. Ces entreprises devront intégrer ce nouveau paramètre dans leurs décisions d’investissement.
Scénarios à risque :
- Ouverture de centres R&D à l’étranger
- Transferts de brevets vers des filiales étrangères
- Fermetures de sites industriels vieillissants
- Rationalisations post-fusion/acquisition
PME innovantes : moins concernées mais vigilantes
Les PME réalisent rarement des délocalisations massives. Toutefois, celles ayant des ambitions de croissance internationale devront anticiper les conséquences d’une expansion hors de France.
Position des organisations patronales
Le MEDEF a régulièrement exprimé le souhait de sécuriser le cadre juridique du CIR et de maintenir son universalité. Les représentants du patronat considèrent ces modifications comme nuisibles à la prévisibilité nécessaire aux investissements en R&D.
Mesures de conformité et recommandations
Documentation préventive indispensable
Actions prioritaires pour les entreprises :
- Cartographier les activités R&D : identifier précisément les sites, projets et effectifs liés au CIR
- Documenter la substance économique : prouver la réalité des travaux de recherche en France
- Tracer les décisions stratégiques : justifier économiquement toute restructuration
- Anticiper les contrôles fiscaux : préparer les dossiers justificatifs en amont
Consultation préalable recommandée
Le rescrit fiscal permet d’interroger l’administration sur l’éligibilité des dépenses et la qualification d’opérations. Cette procédure devient encore plus stratégique avec le risque de remboursement.
Délai du rescrit CIR : La demande doit être transmise au moins 6 mois avant la date limite de dépôt de la déclaration 2069-A-SD.
Alternatives aux délocalisations
- Externalisation contrôlée : sous-traiter à des prestataires français plutôt que délocaliser
- Partenariats de recherche : collaborer avec des organismes étrangers via le CICO (Crédit d’Impôt Collaboration)
- Investissements en France : moderniser les sites existants plutôt que transférer
Calendrier législatif et perspectives d’adoption
État d’avancement du PLF 2026
Timeline parlementaire :
- 28 octobre 2025 : Adoption de l’amendement I-823 en première lecture à l’Assemblée
- Novembre 2025 : Examen au Sénat (en cours)
- Décembre 2025 : Navette parlementaire et commission mixte paritaire probable
- Janvier 2026 : Promulgation définitive de la loi de finances
Incertitudes subsistantes : Le Sénat peut modifier substantiellement le texte. Historiquement, la chambre haute adopte des positions plus favorables aux entreprises que l’Assemblée sur les questions fiscales.
Décrets d’application à venir
Même après l’adoption de la loi, des textes réglementaires devront préciser :
- Les modalités de calcul du montant à rembourser
- Les délais de mise en demeure et de paiement
- Les critères de qualification d’une délocalisation
- Les recours possibles pour les entreprises
Entrée en vigueur : Le texte actuel prévoit une application aux délocalisations intervenant à partir du 1er janvier 2024, créant potentiellement une rétroactivité partielle.
Questions fréquentes (FAQ)
Les filiales étrangères existantes sont-elles concernées ? Non, l’amendement vise les nouvelles délocalisations après le 1er janvier 2024. Les structures déjà implantées à l’étranger ne déclenchent pas l’obligation de remboursement.
Comment l’administration détectera-t-elle les délocalisations ? Via les contrôles fiscaux habituels, croisés avec les données sociales (déclarations URSSAF, PSE) et les informations transmises par les DIRECCTE sur les restructurations.
Le remboursement concerne-t-il uniquement les grandes entreprises ? Non, toutes les entreprises ayant bénéficié du CIR sont potentiellement concernées, quelle que soit leur taille, dès lors qu’elles délocalisent une activité.
Peut-on contester la qualification de délocalisation ? Oui, en cas de désaccord avec l’administration fiscale, les voies de recours classiques s’appliquent : réclamation préalable, tribunal administratif, puis cour administrative d’appel.
Quelle différence entre cette mesure et l’exit tax ? L’exit tax s’applique au transfert de résidence fiscale d’une société, tandis que l’amendement CIR vise le transfert d’activités productives, même si le siège social reste en France.
En résumé : les points clés à retenir
Obligation nouvelle instaurée : Remboursement du CIR des 3 derniers exercices en cas de délocalisation d’activité productive hors de France avec fermeture de sites et suppressions d’emplois.
Double sanction : Remboursement immédiat + perte du droit au CIR pour les 3 années suivantes.
Enjeux financiers majeurs : Plusieurs millions d’euros potentiellement en jeu pour les groupes ayant massivement utilisé le CIR.
Incertitudes juridiques : Définition imprécise de la « délocalisation » laissant une large marge d’interprétation administrative.
Statut législatif : Adopté en première lecture à l’Assemblée, en cours d’examen au Sénat, non définitif.
Accompagnement juridique et fiscal recommandé
La complexité de cette nouvelle disposition impose un accompagnement expert pour sécuriser vos décisions stratégiques. Notre cabinet analyse l’impact du PLF 2026 sur votre situation spécifique et vous aide à anticiper les risques de requalification.
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Sources officielles consultées :
1. Amendement I-823 – Assemblée nationale (octobre 2025)
2. Article 244 quater B du Code Général des Impôts
3. BOFiP-Impôts – Crédit d’impôt recherche
4. LégiFiscal – Actualités PLF 2026
5. Direction Générale des Entreprises – Crédit impôt recherche
⚠️ Avertissement
Les informations contenues dans cet article sont à jour au 4 Novembre 2025 et reflètent l’état du Projet de Loi de Finances 2026 tel qu’adopté en première lecture par l’Assemblée nationale.
Le texte n’a pas encore été définitivement voté. Il peut faire l’objet de modifications substantielles lors de son examen par le Sénat, en commission mixte paritaire ou en lecture définitive. Les dispositions présentées sont donc susceptibles d’évoluer avant la promulgation finale de la loi.
Cet article constitue une analyse générale à vocation informative et ne saurait se substituer à un conseil personnalisé adapté à votre situation spécifique. Pour toute décision engageant la responsabilité fiscale de votre entreprise, nous recommandons vivement de consulter un expert-comptable ou un avocat fiscaliste.
Barry Louison Audit ne saurait être tenu responsable des conséquences résultant de l’application des informations contenues dans cet article, notamment en cas de modification législative ou réglementaire postérieure à sa publication.
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